Jeune scientifique rencontre consultant expérimenté

Nadine Bongaerts chercheuse en biologie synthétique.
“Les scientifiques étudient la nature depuis des centaines d’années. Nous améliorons sans cesse notre connaissance de son fonctionnement. Et nous sommes parvenus dans une ère où la biologie s’apparente de plus en plus à de l’ingénierie. De la même manière que nous avons pu séquencer l’ADN, nous pouvons désormais créer des combinaisons inédites dans l’ADN qui offrent aux organismes la capacité d’accomplir de nouvelles choses.”

Lucien De Busscher Life Sciences Lead Partner EMEIA chez EY
“Je suis responsable des sciences de la vie chez EY. Bien que je sois ingénieur commercial de formation et que j’aie étudié le droit, mes 17 années dans le secteur me permettent d’être parfaitement au fait des dernières évolutions scientifiques et technologiques. Chez EY, nous aidons les entreprises pharmaceutiques, les biotechs et les fournisseurs d’appareils médicaux à élaborer une stratégie, optimiser leur R&D, commercialiser des produits, etc. Naturellement, le conseil reste important. Mais au cours des années à venir, notre tâche évoluera sans doute vers la fourniture de plateformes de données en tant que services. Pointellis en est l’exemple le plus récent.”

Le coût de la vie éternelle

Lucien De Busscher: “Nous voulons tous vivre éternellement, ou du moins longtemps et en bonne santé. De nouvelles technologies, comme les thérapies cellulaire et génique pour l’oncologie, produisent des résultats spectaculaires. De tels traitements s’avèrent nettement plus coûteux que la chimiothérapie et la radiothérapie traditionnelles. La plupart des Belges estiment que c’est à l’État de payer, mais ce n’est pas possible à l’infini — à moins de travailler jusqu’à 105 ans.”

Dépenses de l’assurance maladie pour le traitement du cancer En millions d’euros

2016 2017 2018 0 200 400 600 800 1000 1200 Source: INAMI Immunothérapie Chimiothérapie Autres

Nadine Bongaerts: “À long terme, le prix des nouvelles thérapies baissera. Simultanément, nous pouvons passer au niveau supérieur et travailler dans le domaine de l’épigénétique. Si nous la comprenons mieux, nous pourrons prévenir des maladies. Nous évoluerons alors d’une lutte contre les symptômes vers la prévention, avec, à la clé, une réduction des coûts. Les ressources ainsi économisées pourront être affectées à la médecine personnalisée.”
“Aujourd’hui, on se rend chez le médecin quand on est malade. Dans l’idéal, nous disposerons de l’ADN et de plusieurs autres paramètres d’une personne, tels que ses valeurs sanguines, pour brosser un tableau global. On pourra ainsi déterminer si elle doit réduire sa consommation de viande rouge parce qu’elle présente un risque accru de cancer de l’intestin, par exemple.”

L’épigénétique améliore la compréhension du cancer et d’autres maladies. Outre les gènes proprement dits, des substances chimiques présentes sur l’ADN jouent en effet un rôle dans l’émergence de nos caractéristiques. Les premiers médicaments épigénétiques existent déjà. Et l’on comprend un peu plus chaque jour la façon dont le mode de vie et l’alimentation interviennent dans la modification de l’épigénétique, et donc de la santé. Pour en savoir plus, cliquez ici.

La transition vers la médecine de précision

Nadine Bongaerts: “La difficulté de la médecine préventive? Il n’y a pas d’incitants pour les entreprises, tout simplement parce qu’elles perdent leurs clients. Soit l’État devra intervenir, soit les entreprises seront contraintes d’adopter des modèles économiques liés à la prévention.”

Lucien De Busscher: “En Belgique, on n’a pas l’habitude de travailler avec les organismes d’assurances maladie. Aux États-Unis, on souscrit un contrat de santé à titre privé ou en tant qu’entreprise. Les firmes pharmaceutiques et les fournisseurs de services de santé ne peuvent collaborer avec ces assureurs que s’ils démontrent une amélioration significative de l’outcome pour le patient. Le calcul de cet outcome est confié à des économistes de la santé indépendants. Le patient a lui aussi une responsabilité en la matière. Via des applications, il peut notamment démontrer qu’il respecte la médication ou le régime qui lui ont été prescrits. Aux États-Unis, Omada Health et Welldoc s’occupent des diabètes de type II: en influant sur le comportement du patient grâce au suivi de son régime, de son comportement et sa prise de médication, ils multiplient souvent par deux l’efficacité des traitements.”

Nadine Bongaerts: “Des entreprises comme Google et Amazon s’intéressent de près aux sciences de la vie. Et, selon moi, elles sont en train de développer leurs propres compagnies d’assurances, entre autres choses. Google dispose d’une quantité incroyable de données. En les combinant à des informations génétiques, il sera possible de comprendre mieux encore le comportement et le mode de vie d’un patient, et par conséquent de lui indiquer ce qu’il doit faire et ne pas faire pour rester en bonne santé. La médecine devient hyperpersonnalisée.”

‘Avec la médecine préventive, les entreprises perdent leurs clients.’— @nadinebongaertsNadine Bongaerts, chercheuse en biologie synthétique

23.6millions

de personnes s’entendront dire,
chaque année d’ici à 2030, qu’elles souffrent d’un cancer.

Source: OMS

Un nouvel écosystème

Nadine Bongaerts: “L’innovation provient des start-up. Dans la Silicon Valley comme à Boston, elles ont bien compris qu’ici résidera la prochaine révolution. Nous devons y réfléchir. Notre écosystème est très fragmenté. En Europe, nous parions nettement plus sur l’intelligence artificielle et le deep learning, qui ne sont pas moins importants pour la biorévolution, naturellement.”

Lucien De Busscher: “Chez EY, notre spécialité consiste à mettre en relation des entreprises complémentaires. Les grands acteurs ne peuvent passer toutes les start-up au crible, surtout si elles sont actives en dehors des biotechs. Nous construisons nous-mêmes des solutions et jouons les intermédiaires entre l’État et les entreprises pharmaceutiques, par exemple pour valider l’efficacité d’un médicament.”

Nadine Bongaerts: “Une myriade d’améliorations sont encore possibles. De nombreuses recherches médicales ne sont réalisées qu’avec des hommes sains. Les femmes ne sont pas incluses, parce que leur cycle hormonal peut influencer les résultats… Nous avons besoin de personnaliser davantage notre médecine, mais aussi de multiplier les recherches cliniques qui prennent en compte une large diversité d’êtres humains.”

‘Les grands acteurs ne peuvent passer toutes les start-up au crible, surtout si elles sont actives en dehors des biotechs.’— Lucien De Busscher @EY_BelgiumLucien De Busscher partner chez EY

Pointellis: transporter des données rapidement et en toute sécurité

Lucien De Busscher: “Beaucoup de patients qui suivent une thérapie cellulaire ont épuisé tous les autres traitements. Ils n’ont souvent plus que quelques semaines à vivre. En dernier recours, les médecins s’attaquent à l’anomalie génétique dans leur ADN et opèrent un ‘couper/coller’. Ce processus ne s’effectue bien entendu pas dans l’hôpital local du patient: il se joue à l’échelle mondiale. Pourtant, il faut aller vite et la sécurité est très importante. Pas question de mélanger le matériel génétique de Marie avec celui de Georges.”

“Avec Microsoft, EY a développé la solution Pointellis. Nous captons des données sur l’ensemble de la chaîne. Grâce à la blockchain, nous garantissons les custody and identity et donc le respect de la vie privée. C’est très utile pour l’entreprise pharmaceutique. Mais aussi pour le patient qui sait à tout moment où se trouve son échantillon. Et l’État peut participer au processus.”
“Pointellis comble une énorme lacune dans le marché. Bien que cette solution ne profite pour l’instant qu’à une centaine de patients, nous la voyons enregistrer une croissance exponentielle. Nous avons déjà conclu huit contrats avec de grandes entreprises pharmaceutiques. Les réussites font chaud au cœur. Je connais personnellement un Israélien qui avait épuisé tous les traitements aux États-Unis et qui était rentré dans son pays pour dire adieu à ses amis et à sa famille. Il a intégré un programme expérimental d’immunothérapie: trois semaines plus tard, il était guéri à 100%. Ce n’est pas rien.”
Pointellis opère comme une sorte d’autoroute à laquelle les partenaires peuvent se raccorder. Nous encourageons également des start-up à développer des services qui enrichissent la plateforme, contrairement à ce qui se pratiquait dans le passé où conserver leur indépendance absolue les condamnait à l’échec. En outre, Pointellis démontre qu’EY est prêt à investir dans des plateformes de services, ce qui peut inciter des start-up à collaborer avec EY sur des plateformes similaires.”

En savoir plus sur Pointellis

Le secteur médical n’existe plus

Nadine Bongaerts: “Nous avons absolument besoin de success-stories. Il est important que nous modifiions notre perception des nouvelles technologies. Il y a parfois des ratés, quelqu’un peut mourir à cause de la thérapie cellulaire, mais nous devons accepter cette incertitude. Il ne faut pas se laisser paralyser a priori. Nous sommes parfois un peu trop angoissés. Nous nous abandonnons trop vite à des scénarios catastrophes relevant de la science-fiction. Nous devons dialoguer en permanence et échanger des informations avec toute la société.”

Lucien De Busscher: “Le secteur médical n’existe plus. Toutes les entreprises qui réfléchissent encore selon cette logique de silo sont condamnées. Il faut penser en termes d’écosystème avec des patients, des consommateurs, des médecins, des compagnies d’assurance, des entreprises… Le changement est lent par essence, mais il est émaillé de moments-charnières. Uber est apparu subitement, tout comme Booking.com. Si l’on demande à des gens dans la rue ce que sont l’immunothérapie et le séquençage de l’ADN, la majorité d’entre eux répondront qu’ils n’en ont jamais entendu parler. Dans cinq ans, cependant, les thérapies cellulaire et génique jouiront de la même notoriété qu’Uber et Booking aujourd’hui. Et deux ans plus tard, tout le monde se demandera qui a encore besoin de chimio.”

Dans cinq ans, les thérapies cellulaire et génique seront aussi connues qu’Uber et Booking.com aujourd’hui. Deux ans plus tard, tout le monde se demandera qui a encore besoin de chimio.— Lucien De Busscher @EY_BelgiumLucien De Busscher partner chez EY

Réserves éthiques

Nadine Bongaerts: “Si nous comprenons mieux quelles anomalies dans l’ADN sont à l’origine de quelle maladie, il sera possible d’identifier ces maladies et de modifier l’ADN. Cela soulève toutefois des questions complexes de sécurité et d’éthique. L’injonction à rester en bonne santé est de plus en plus forte. Toutes ces données, toutes ces nouvelles technologies n’empiètent-elles pas sur notre liberté? Imaginez que je sois enceinte d’un enfant présentant une anomalie génétique et que les médecins le constatent à temps. Cet enfant pourra parfaitement vivre sa vie, mais il devra prendre des médicaments assez coûteux. L’assurance pourrait alors refuser d’intervenir au motif que j’en étais informée avant l’accouchement. De telles situations, inédites j’en conviens, sont malgré tout inévitables. Surtout avec l’augmentation du coût du vieillissement.”

Lucien De Busscher: “Et que se passe-t-il si l’on accroît la capacité cérébrale de l’un et pas de l’autre? On pourrait même le faire en tant que nation: augmenter le QI d’une population de quelques points en procédant à une modification dans l’ADN. Aucune législation ne pourra l’empêcher.”

Nadine Bongaerts: “C’est vrai, le ‘tourisme des bébés’ existe déjà. Aux États-Unis, certaines cliniques offrent de choisir le sexe ou la couleur des yeux de son enfant. Modifier génétiquement des groupes entiers me semble néanmoins compliqué. La diversité reste plus efficace — la nature le prouve chaque jour. On pourrait par exemple rencontrer une maladie qui attaque les personnes présentant cette caractéristique précise.”

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Lucien De Busscher
partner EY