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“Traitez vos collaborateurs comme des clients”

“Une minute, je dois faire sortir le chien”, prévient Pieter Nobels juste avant le début de l’entretien. “C’est l’un des avantages du travail à domicile”, plaisante-t-il. Une illustration parfaite que le travail hybride est la formule idéale pour beaucoup… y compris pour le chien. En revanche, les inconvénients de ce mode de travail sont aussi réels. En tant qu’Executive Director People Advisory Services chez EY, Pieter Nobels est idéalement placé pour apporter des réponses aux questions sur l’avenir du travail, tant pour l’entreprise que pour le salarié.

“Le travail hybride – en partie à domicile, en partie au bureau – est un besoin fondamental pour de nombreux employés, et la pandémie de coronavirus a accéléré cette tendance”, indique Pieter Nobels. “Cela signifie bien plus que de faire travailler vos employés deux jours à la maison et trois jours au bureau. Surtout lorsqu’on sait que, statistiquement, la moitié d’une équipe moyenne de 15 personnes n’est réunie sur le lieu de travail qu’à peine 12% du temps.”

Pour réussir à mettre en place un environnement de travail hybride, les entreprises doivent trouver un équilibre entre les objectifs collectifs et les besoins individuels. C’est pourquoi elles ont tout intérêt à se concentrer sur l’expérience employé. “Les entreprises – et même les conseils communaux, entre autres – doivent mettre le collaborateur au centre de leurs préoccupations, quel que soit son lieu de travail. C’est possible en améliorant son expérience professionnelle par un changement de comportement fondé sur une culture de confiance et de connexion. Cela contribuera à terme à sa productivité.”

En savoir plus: Leveraging future of work challenges through HR data (EN)

Le retour au bureau est-il la solution à tous les problèmes de ressources humaines?

Après le télétravail obligatoire, de nombreuses entreprises attendent avec impatience le grand retour au bureau. Elles s’inquiètent du niveau élevé d’activité sur le marché du travail et de la rotation associée. “Les employeurs craignent que le travail à domicile ait amoindri les liens et l’engagement de leur personnel”, remarque Pieter Nobels. “Pourtant, la plupart savent que leur personnel apprécie vraiment cette flexibilité accrue. Ils optent souvent pour le meilleur des deux mondes. Les études démontrent qu’ils se tournent massivement vers un modèle hybride permanent.”

Note: le télétravail n’est possible que pour un employé belge sur quatre. Les ouvriers de production, vendeurs et autres professionnels du soin ne sauraient exercer leur métier qu’en étant présents physiquement sur le lieu de travail.

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des salariés exigent de la flexibilité quant au lieu et au moment où ils travaillent.

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54% envisagent de démissionner s’ils n’obtiennent pas cette flexibilité. Chez les milléniaux, ce chiffre est deux fois plus élevé que parmi les baby-boomers.

Source: Work Reimagined Employee Survey 2021, EY

Le travail hybride a un net impact sur l’organisation du lieu de travail. “Et cela va bien au-delà de l’installation de Teams sur chaque ordinateur portable”, prévient Pieter Nobels. “Il doit être intégré à l’ensemble de l’organisation de l’entreprise. Un employeur tourné vers l’avenir adopte une approche globale qui crée de la valeur ajoutée pour tous. Le point de départ doit être l’employé: l’un vient au bureau pour l’interaction sociale, l’autre juste pour travailler dans un environnement professionnel, de manière concentrée.”

Aux yeux de Pieter Nobels, il faut observer chaque jour d’une manière totalement nouvelle l’employé et l’entreprise pour laquelle il travaille. On ne saurait appliquer la même méthode de travail dans un système de deux ou trois jours au bureau que dans l’ancien système, qui prévoyait cinq jours de présence. “Au contraire, vous devez adapter votre approche à la situation hybride”, insiste l’expert. Plus concrètement, la question est dès lors: comment relier le monde physique du travail et le monde numérique de manière à ce qu’ils se renforcent mutuellement, et vice-versa? “L’approche va au-delà d’un simple plug-and-play. Une corbeille de fruits à la cafétéria ne suffit pas. Dans l’expérience du collaborateur, quels que soient le lieu et le moment, trois piliers doivent être en équilibre: bricks, bytes & behaviour. Il ne sert à rien de diviser par deux le nombre de bureaux, par exemple, si l’on n’opte pas pour un nouveau type de travail et, partant, une autre technologie.”

“On aurait tort de croire que tout allait pour le mieux lorsque tout le monde travaillait physiquement dans la même pièce.”

En savoir plus: Comment Telenet gère-t-elle le travail hybride ?

Est-ce que mesurer revient à contrôler ou à savoir?

Le nouveau mode de travail signifie davantage de flexibilité et de liberté de choix pour le collaborateur individuel. “Bien que la crise sanitaire ait démontré que la productivité ne diminuait pas avec le télétravail, de nombreux managers sont confrontés à un manque de contrôle. Les besoins du travailleur à domicile ne correspondent pas toujours à ceux de l’entreprise. Et, avouons-le, certaines tâches sont mieux effectuées au bureau, surtout si elles impliquent beaucoup d’interaction.”

Pour parvenir à cet équilibre délicat, les entreprises doivent associer flexibilité individuelle et objectif collectif. “Vous pouvez intégrer ces éléments, ainsi que les dispositions pratiques, dans une charte commune. Elle offre aux entreprises une occasion unique de pratiquer une approche davantage axée sur les personnes avec, par exemple, une rémunération flexible et une communication personnalisée. Un rôle crucial est ici joué par le chef d’équipe, qui doit prendre conscience que son équipe est constituée de personnes différentes, de profils dotés chacun de leurs propres attentes, besoins et motivations.”

“Un panier de fruits à la cafétéria ne suffit pas. Trois piliers doivent être en équilibre: bricks, bytes & behaviour.”

Le travail hybride n’est utile que si vous pouvez compter sur l’autonomie de vos collaborateurs. “De nombreuses études ont démontré que leur satisfaction et leur bonheur croissent à l’avenant. Ce n’est pas seulement positif pour l’employé, mais aussi pour l’ensemble de l’entreprise.” Pieter Nobels remarque encore beaucoup de méfiance, cependant. “On peut y remédier via des actions de contrôle, par exemple en appelant tous les jours. Mais à dire vrai, trop de contrôle nuit à l’autonomie. En outre, les employés doivent avoir le droit de commettre des erreurs.”

Bien sûr, le manager doit exercer un certain suivi. “N’observez pas tant la productivité que l’engagement et le bien-être de l’employé. Ceux-ci seront mesurés grâce à une enquête annuelle approfondie sur l’engagement. Mieux encore, on peut se baser en quelque sorte sur ‘l’expérience client’: une palette diversifiée de points de mesure qui peuvent servir d’indicateurs, par exemple une enquête pulse à laquelle l’employé peut répondre de manière intuitive. Ou des mesures indirectes – comment s’est passée l’interaction avec l’informatique ou les RH? Mesurez la satisfaction des employés comme vous le faites pour les interactions avec les clients.”

Source: Work Reimagined Employee Survey 2021, EY

“Trop souvent, on décroche une responsabilité d’équipe parce qu’on est bon dans son travail, parce qu’on a de l’expertise. Ce qui ne signifie pas toujours que ces managers sont les plus orientés vers les personnes. Certains trouveront utile de cartographier les profils avec des préférences, des besoins et des priorités différents.”

Le rôle du manager est d’encadrer ses collaborateurs pour qu’ils atteignent le résultat attendu. Pour certains employés, cela implique une approche très directive; d’autres ont besoin de davantage d’espace pour leur propre interprétation du travail. En outre, le manager doit être un guide pour ses collaborateurs. Comment? En traduisant l’objectif collectif de l’entreprise en attentes et comportements concrets pour son équipe. Mais aussi en les liant à la contribution que le collaborateur individuel doit apporter. Le manager devra donc suivre beaucoup plus ses effectifs et, dans une certaine mesure, assumer le rôle des RH.”

“Tout l’art consiste à respecter l’employé en tant qu’individu doté de talents, de besoins, de préférences et de priorités uniques, sans trop creuser le contexte de chaque individu.”

Et qu’en est-il du département des ressources humaines? “Il devra se concentrer davantage sur l’amélioration de l’expérience du collaborateur et sur le soutien du manager, entre autres grâce à des informations découlant de mesures et de données.”

66%

d’absentéisme en moins si les employés ont une expérience professionnelle positive.

Source: Jacob Morgan, The employee experience advantage. How to win the war for talent (2017).

“Reconfigurez les processus et les outils internes de manière plus conviviale et intégrée. Notamment en représentant l’expérience des collaborateurs sur une carte, en montrant le parcours-type de l’employé dans l’organisation. Cet employee journey ancre votre flexibilité et va au-delà du choix du lieu et du moment où une personne doit travailler.”

“Si vos employés comprennent dans quelle mesure leur travail contribue aux objectifs et à la stratégie de l’entreprise, le lieu et le moment où ils travaillent n’ont que peu d’importance.”

Une culture d’entreprise dans laquelle l’employé est à l’aise, fait confiance à la direction et se sent concerné par les objectifs: voilà l’essence de l’expérience employé. “La transparence et le libre partage de l’information sont essentiels. Les employés engagés sont plus innovants, restent plus longtemps dans l’entreprise, sont moins souvent malades, etc. En fin de compte, cela permet de réaliser plus de bénéfices. Les résultats de l’employer experience sont irréfutables. Il faut d’ailleurs abattre le mythe selon lequel tout allait pour le mieux lorsque tout le monde travaillait encore physiquement dans la même pièce.”

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de bénéfices en plus si les employés ont une perception positive de la marque.

Source: Jacob Morgan, The employee experience advantage. How to win the war for talent (2017).

En savoir plus: The ever-growing importance of L&D in the future of work (EN)

L’employé hybride doit-il être particulièrement doué pour les appels vidéo?

“L’activity based working, l’autonomie complète pour faire son travail comme on l’entend: le concept paraît simple et séduisant. Encore faut-il que le salarié sache parfaitement ce qu’il doit faire, comment le faire et quel est le résultat souhaité. Or, ce n’est pas toujours vrai.”

Selon Pieter Nobels, les compétences les plus importantes pour l’avenir ne sont pas forcément les compétences numériques mais plutôt la gestion du changement et sa transposition, de manière analytique, en nouvelles actions. “Le collaborateur des RH ne devrait pas être capable de mettre en place une vaste enquête mais de lire les résultats et de les convertir en points d’action concrets. Une application numérique n’est pas la solution à tous les problèmes. Bien sûr, elles doivent être conviviales et intégrées aux processus nécessaires. Le monde qui nous entoure évolue si rapidement qu’il est impossible de mettre en œuvre des processus de changement ou des programmes de formation majeurs; il faut plutôt amener les gens à travailler intuitivement avec les nouvelles technologies.”

Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour le collaborateur? “Votre travail sera en constante évolution, tout comme le contexte dans lequel vous travaillez. En tant qu’individu, vous devez y trouver votre place et jouer votre rôle. Et si vous n’êtes pas satisfait, il faudra communiquer. Les milléniaux sont peut-être plus enclins à parler, c’est vrai, mais cette conscience s’est depuis propagée au sein des entreprises.”

“Si vos employés comprennent dans quelle mesure leur travail contribue aux objectifs et à la stratégie de l’entreprise, le lieu et le moment où ils travaillent n’ont que peu d’importance.”

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Pieter Nobels

Executive Director People Advisory Services EY Belgium