Une alternative analytique à la boule de cristal
Les crises se succèdent et les perturbations s’accélèrent. Toutefois, les entreprises ne sont pas condamnées à la passivité: elles peuvent saisir les opportunités que recèlent ces périodes troublées. Les données et l’analyse fondamentale leur permettent d’élaborer des scénarios objectifs afin de sortir plus fortes de la crise. Avec un mot d’ordre: la transparence.
Les entreprises sont-elles condamnées à subir la crise?
“Du point de vue de la chaîne d’approvisionnement, la disruption est évidente – il suffit de penser à la crise énergétique et au conflit entre la Russie et l’Ukraine, qui a un impact majeur sur l’approvisionnement européen”, répond Tom Van Herzele. “Ces dernières années, nous avons connu le blocage du canal de Suez et la crise sanitaire, mais en réalité, les perturbations sont réelles depuis plus de 10 ans. Pour notre part, nous nous concentrons sur les opportunités qu’elles créent. En effet, la période est extrêmement intéressante pour être professionnellement impliqué dans la supply chain.”
La maturité des avancées technologiques a connu un tel essor qu’il existe désormais des réponses aux problèmes classiques de la chaîne d’approvisionnement. “Et ce qui est intéressant, c’est que cette technologie peut également apporter des réponses aux défis d’aujourd’hui”, souligne Tom Van Herzele. “La visibilité end-to-end, par exemple, offre la possibilité d’aligner parfaitement demande et production. Dans le même temps, elle peut fournir des éclaircissements sur l’origine des produits, ce qui intéresse de plus en plus les consommateurs. Dans le secteur alimentaire, le concept ‘du champ à l’assiette’ garantit ainsi qu’aucune déforestation n’a été nécessaire pour produire un morceau de chocolat ou une bonne tasse de café.”
“Il ne faut pas attendre que la tempête se calme”, ajoute Joeri Snijers. “Engagez-vous activement dans les changements et utilisez-les pour vous réinventer. Numérisation, décarbonation: les entreprises sont déjà confrontées à ces défis, ce n’est pas nouveau. En outre, le monde de l’entreprise dans une certaine mesure, imprévisible par définition. Si l’inflation est peut-être la plus grande incertitude du moment, la cause sous-jacente est bien plus profonde.”
Engagez-vous activement dans les changements et utilisez-les pour vous réinventer.
Joeri Snijers – executive director EY
Les données historiques sont-elles encore utiles?
“Grâce à la technologie, nous bénéficions d’une formidable visibilité qui permet de mieux organiser et gérer nos entreprises”, avance Joeri Snijers. “La disponibilité accrue des données autorise des prévisions et décisions plus objectives. Cependant ces prévisions se basent sur les données du passé, et c’est ce qui pose problèmes aux entreprises actuellement. Autrefois, le biais humain était un problème: l’intuition pesait lourd dans la prise de décision. Cet obstacle pouvait être contourné en se basant sur des données. À présent, un biais existe aussi au niveau des données elles-mêmes. On entend souvent : ‘Oui, mais ces données s’appliquent à une année Covid’, par exemple. Il faut gérer ces biais de manière intelligente, et c’est tout à fait possible technologiquement.”
La disponibilité accrue des données autorise des prévisions et décisions plus objectives.
Tom Van Herzele – partner EY
Selon Joeri Snijers, même s’il faut jeter un regard prudent sur les données historiques, les grandes tendances demeurent visibles. “Les entreprises doivent néanmoins faire appel à d’autres compétences pour y parvenir”, ajoute Tom Van Herzele. “La guerre des talents se joue bien sûr dans le domaine des analystes de données mais elle ne s’arrête pas là. Les interventions visant à réduire les coûts obligent parfois à confier d’autres tâches à certaines personnes. Toutes les entreprises sont-elles prêtes à passer à une main-d’œuvre plus axée sur les données? Nous recevons de nombreuses questions de la part d’entreprises qui ne sont pas encore en mesure de gérer ces compétences.”
Exercice: où en est mon entreprise?
“Plus que jamais, les données touchent directement à l’épine dorsale de votre entreprise: quels sont les quatre ou cinq boutons qui déterminent 80% de votre histoire, et quels sont les boutons sur lesquels vous ne devez absolument pas appuyer?”, reprend Joeri Snijers. “Vous devez vous interroger sur ce que vous savez faire ou pas, sur ce dans quoi vous devez investir ou non, sur les opportunités qui s’offrent à vous dans cet environnement… Pour les entreprises, l’analyse de scénarios fait toujours l’effet d’une révélation qui permet de contredire ou de renforcer une intuition, mais aussi de clarifier les connexions et d’enrichir la stratégie.”
“Avec les données, vous soutenez les décisions et augmentez le soutien au sein de l’entreprise”, embraie Tom Van Herzele. “Lorsque, en tant que dirigeant, vous êtes amené à défendre une décision fondée sur votre intuition ou sur une analyse solide des données, votre argumentaire aura nettement plus de poids dans le second cas, y compris vis-à-vis des investisseurs et des actionnaires. Grâce à la visibilité sur votre chaîne d’approvisionnement, vous évaluez mieux les risques, surtout dans un monde caractérisé par la disruption. De nombreux consommateurs choisissent à nouveau d’acheter des produits plus près de chez eux. Il est important de bien connaître l’origine de vos matières premières et les matériaux utilisés dans l’ensemble de la supply chain en amont pour établir les bons profils de risque. Par exemple, êtes-vous trop dépendant d’un opérateur en particulier? Aujourd’hui, il est possible d’établir un profil de risque de l’ensemble de votre réseau.”
Connaître la provenance de vos matières premières est important dans la détermination des profils de risque.
Tom Van Herzele – partner EY
L’importance de la transparence
Tom Van Herzele cite l’exemple des grains de café. “Les grands opérateurs veulent savoir de quelle plante provient chaque grain. La déforestation a-t-elle été nécessaire pour ces plantations? La durabilité est un argument supplémentaire, de nos jours. L’entreprise doit être en mesure de prouver que la tasse de café du consommateur profite également à la communauté locale du caféiculteur et n’a pas d’impact environnemental… L’Europe est pionnière en la matière, elle rédige des textes législatifs qui contraignent les entreprises à cette visibilité pour pouvoir continuer à produire. C’est un excellent exemple d’opportunité.”
Qu’est-ce que l’analyse de scénarios?
“Il s’agit de décomposer votre entreprise en ses plus petits éléments constitutifs afin d’identifier les facteurs les plus essentiels pour votre activité et de comprendre comment ils vont évoluer”, éclaire Joeri Snijers. “En l’absence de boule de cristal, il faut consulter toutes les parties prenantes et tous les départements de votre entreprise autour des scénarios les plus plausibles. Bref, détecter et quantifier pour comprendre quels éléments doivent être suivis.”
“Et si vous choisissez d’emprunter une certaine voie, vous devez agir consciemment. Vous devrez surveiller en permanence ce qui se passe autour de vous, et donc rester concentré et réactif. Il ne s’agit pas de choisir les scénarios les plus extrêmes mais les plus plausibles.”
Suivi de la distribution
L’importance de ce suivi permanent, Tom Van Herzele l’explique avec un réseau de distribution: comment mes produits – des chaussures, par exemple – parviennent-ils à mes clients, et où dois-je dès lors implanter mes centres de production et mes entrepôts? “Ce type d’exercice avait lieu tous les cinq ans environ. Aujourd’hui, les entreprises ont un ou deux employés qui travaillent à plein temps pour optimiser les éléments du modèle existant. Comment réduire les coûts logistiques, quels modes de transport emprunter? C’est un processus continu. Si votre centre de distribution se trouve dans notre pays, vous ne pourrez pas livrer en Espagne dans les 24 heures.”
Comment rester compétitif?
L’analyse de scénarios est au croisement des données, des financements, des taxes, des supply chains, de la numérisation, de l’empreinte environnementale, etc. “Il faut comprendre l’ensemble du spectre, c’est un exercice complexe”, insiste Joeri Snijers. “Mais à l’avenir, vous n’en tirerez profit que si vous comprenez comment votre entreprise est constituée, quels sont les leviers à actionner et où se trouvent les points forts de votre entreprise, quelles sont les alliances que vous pouvez conclure ou les lignes de produits que vous pouvez lancer.”
“Par le passé, on pouvait se contenter de réduire les coûts et d’optimiser les cash-flows. Cela ne suffit plus. L’entrepreneur doit se demander s’il est compétitif: est-il encore utile de s’entêter dans telle ou telle voie? Peut-être obtenez-vous des résultats meilleurs dans un domaine particulier? Qu’en est-il de la concurrence? Une acquisition peut se révéler judicieuse… Vous devez avoir une bonne compréhension de la façon dont les coûts sont ventilés dans votre entreprise.”
Tom Van Herzele convient que la structure des coûts doit être claire, “y compris lorsqu’il s’agit de négocier avec les fournisseurs. Soyez transparent. Les clients et fournisseurs n’ont aucun intérêt à ce que vous fassiez faillite, sinon ils se retrouveront eux-mêmes en position de faiblesse. Or, les coûts de l’énergie et de la main-d’œuvre sont effectivement en forte hausse. Déménager en Asie peut parfois être intéressant, mais que faire alors de votre unité de production belge? Miser sur la personnalisation est une option. Si votre suivi est efficace, vous pourrez corriger le tir rapidement. Et puis, rentabilité et durabilité vont de pair.”
Cash is king
“Si vous affichez un flux de trésorerie négatif, vous ne pourrez plus gérer votre entreprise, vous n’en aurez plus le contrôle”, prévient Joeri Snijers. “Seuls les excédents de trésorerie vous permettent d’agir et de prendre des décisions. Sur le plan comptable, tous les chiffres peuvent être bons, mais votre efficacité dépend réellement de ce qui se trouve sur votre compte bancaire. Beaucoup d’entreprises ont des dettes au bilan depuis la crise sanitaire. Celles-ci doivent être refinancées à des taux d’intérêt plus élevés. Tout le monde sent la tempête arriver.”
Par le passé, on pouvait se contenter de réduire les coûts et d’optimiser les cash-flows. Cela ne suffit plus.
Joeri Snijers – executive director EY
Contact
Joeri Snijers
est executive director chez EY. Depuis un an et demi, il travaille chez EY-Parthenon et accompagne les entreprises au plan stratégique et opérationnel.
Tom Van Herzele
est Partner au sein de la division Consulting d’EY et dirige le département Supply Chain & Operations.