La réglementation européenne crée une structure pour la création d'une valeur ajoutée universelle… mais nous n'y sommes pas encore

Les crises successives nous feraient presque oublier que l’Europe s’est résolument engagée sur la voie de la durabilité. L’objectif du Green Deal européen est d’évoluervers une économie durable. Dans les prochaines années, les entreprises devront se préparer à de nouvelles réglementations et à de nouveaux reportings, “mais surtout, elles devront développer et mettre en œuvre,…

Sous la bannière du Green Deal, l’Europe déploie de nombreuses initiatives destinées à rendre l’économie plus durable. Si elle se concentre notamment sur la décarbonation et d’autres mesures écologiques, les piliers sociaux et politiques reçoivent également beaucoup d’attention. Due diligence des entreprises en matière de durabilité (sustainability due diligence) visant à créer une plus grande transparence autour des droits de l’homme, exigences de durabilité et leur impact, directive sur les rapports de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive): les entreprises doivent rendre compte des effets de leurs activités sur l’environnement et la société, et, inversement, des risques que les questions environnementales et sociales font peser sur elles.

La durabilité obligatoire est-elle une perspective lointaine?

“Oui et non”, répond Tristan Dhondt, partner EY. “Le reporting est une obligation. Toutes les entreprises doivent s’y conformer. Elles doivent examiner ce que tous les sous-aspects impliquent pour elles, y compris en termes économiques. L’incertitude à ce sujet subsiste. Mais ce n’est pas vraiment le problème, à mon sens. La question de la stratégie commerciale est plus importante. Qu’en est-il de la culture, de la mentalité de l’entreprise?”

“La plupart des entreprises connaissent le calendrier, elles savent ce qui va se passer”, convient Sophie Chirez, executive director EY. “Nombre d’entre elles doivent être prêtes d’ici à 2025, d’autres un peu plus tard, mais ce qu’implique exactement le reporting n’est pas nécessairement clair. Certaines en sous-estiment les conséquences. Or, ce que l’Europe demande est totalement différent: c’est un pas majeur, personne n’a de doute à ce sujet. Avec les critères ESG – environnementaux, sociaux et de gouvernance –, l’accent est placé sur le changement climatique, les émissions de CO2, la pollution, etc. La dimension sociale est aussi abordée mais la direction reste généralement trop peu impliquée.”

“De nombreux scandales ont éclaté par le passé, le Dieselgate étant l’un des plus tristement célèbres. Beaucoup d’entreprises ne se rendent pas compte qu’elles doivent s’occuper de leur gouvernance en amont: elles n’agissent que lorsque l’événement défavorable s’est produit. Cette responsabilité devrait incomber au conseil d’administration. C’est pourquoi nous œuvrons à une large sensibilisation. Souvent, celle-ci figure déjà en bonne place à l’agenda de la direction, du CEO et du directeur financier, mais elle doit également être portée par le conseil d’administration. La responsabilité des CA doit être renforcée.” Selon Sophie Chirez, trop de décideurs manquent de connaissances en matière d’ESG.

Les entreprises doivent définir des priorités à cet égard. “La norme européenne est très complète et comporte une myriade de points et d’exigences. Il faut se demander où votre impact est le plus fort. Et pas uniquement l’impact négatif! Si vous avez un impact positif, c’est là que résident les opportunités commerciales. C’est tout aussi important pour la suite de l’histoire.”

Tristan Dhondt partage cet avis, bien qu’en termes réels – en euros, donc – il y ait encore trop peu de modes de mesure. “Pourtant, tout commence par là. Mesurer, c’est savoir! Vous ne pouvez poser des choix à long terme et créer de la valeur que lorsque vous avez défini une stratégie et que vous connaissez l’impact financier de toutes les options sur les individus et l’environnement. L’impact sur le plan opérationnel est très tangible. Il y a par ailleurs des choix qualitatifs à poser. Chez EY, nous avons élaboré une stratégie avec un cadre général comprenant six questions, une méthodologie, etc.”

Six défis pour les entreprises
  1. Comment décarboner notre entreprise ?
  2. Comment notre stratégie peut-elle générer une valeur financière et pour les parties prenantes?
  3. Comment nous mettre en conformité (compliance) et gérer les risques pour un coût raisonnable?
  4. Comment exploiter la technologie et les données afin de concrétiser notre agenda de durabilité?
  5. Comment réorganiser notre chaîne de produits et de livraison de manière à la rendre durable?
  6. Comment financer la transformation durable?

Le reporting: plus qu’une checklist?

“Les six défis que nous avons définis chez EY vont bien au-delà du reporting”, prévient Tristan Dhondt. “Bien sûr, le volet compliance est important, mais nous voulons aller plus loin. En fonction de la personne et du niveau de l’entreprise, les sujets sont abordés de manière plus rigoureuse. En outre, l’éventail de sujets est large, ce qui implique de recourir à la méthode essai-erreur.”

‘“Une fois que l’entreprise a défini ses thèmes ESG, elle a l’obligation de les auditer, à partir du moment où la directive s’applique, et de les rendre publics”, ajoute Sophie Chirez. “Même dans ce cas, il s’agit de bien plus qu’une check-list. Les chiffres communiqués sont-ils corrects? Et les données qui sous-tendent ces chiffres peuvent-elles être vérifiées et validées? C’est de cette façon que l’on combat l’écoblanchiment. Mais trouver les bonnes informations exige de disposer d’une vision d’ensemble: il faut compléter les données quantitatives par des données qualitatives. Quelle est votre politique, dans quoi allez-vous investir, votre culture d’entreprise en est-elle imprégnée? Et ainsi de suite.”

“Si les entreprises se concentrent trop sur une simple check-list, elles courent le risque que la sensibilisation au développement durable demeure trop limitée, qu’elle ne bénéficie pas d’un fort soutien et qu’elle ne soit pas réellement intégrée au modèle d’entreprise”, note Tristan Dhondt. “Or, il s’agit précisément d’une stratégie durable complète. Du bas de l’échelle au conseil d’administration et vice-versa, tout le monde doit être impliqué! Une stratégie commerciale durable réussie peut procurer à l’entreprise des avantages tant ESG que financiers. Heureusement, c’est de plus en plus le cas dans les faits.”

Une nécessaire coordination

Selon Sophie Chirez, la pensée en silo reste un piège pour de nombreuses entreprises. “Une équipe est chargée de la décarbonation, une autre des affaires sociales… Il s’agit de personnes aux compétences diverses. Pour parvenir à une approche cohérente, il faut disposer de la bonne structure, puis remonter jusqu’au sommet. Si vous désirez investir de façon durable, la situation financière en sera impactée et le directeur financier doit être impliqué. Si vous souhaitez recruter du personnel dans ce cadre ou attribuer un poste différent à certains de vos collaborateurs, les ressources humaines devront être de la partie. En fonction de la taille de l’entreprise, vous pouvez mettre en place une équipe spécifique qui transcende les silos, mais nommer un responsable de la durabilité n’est pas évident pour les petites entreprises familiales. À un moment donné, il faudra centraliser pour prendre les bonnes mesures et les coordonner.”

Le CEO et le directeur financier doivent participer aux discussions, insiste Tristan Dhondt. “Sinon, vous risquez de relever simplement de la responsabilité sociale des entreprises (corporate social responsibility, CSR), comme c’était le cas auparavant. Il s’agissait surtout de mesures entourant le branding, quelques pages dans le rapport annuel relatant des initiatives écologiques, sans grand impact sur l’entreprise. À mes yeux, le directeur financier devrait être récompensé proportionnellement à ses efforts!”

Pour parvenir à une approche cohérente, il faut disposer de la bonne structure, puis remonter jusqu’au sommet.

Sophie Chirez, executive director EY

Une stratégie durable donne-t-elle lieu à une destruction ou à une création de valeur?

Les exigences en matière de reporting constituent un excellent guide pour l’élaboration d’une stratégie durable. Les entreprises peuvent par exemple élaborer un scénario pour un plan de transition complet, avec toutes les étapes permettant de réduire de moitié les émissions de CO2 d’ici à 2035.“Quelles sont les actions concrètes?”, interroge Sophie Chirez. “Quels sont les paramètres? Quelles mesures voulez-vous prendre pour atteindre quels objectifs? Il faut bien sûr rester réaliste.”

“Le suivi de l’ensemble de l’entreprise est ici crucial”, juge Tristan Dhondt. “Évoluons-nous favorablement dans l’ensemble? Je pense, entre autres, à la rareté des matières premières et de l’énergie. Si vous ne développez pas une bonne stratégie à cet égard, vous ne serez pas non plus en mesure de présenter des chiffres solides. Votre entreprise devrait peut-être céder une unité ou rechercher une acquisition pour créer de la valeur et augmenter les revenus. Et quels sont les outils durables mis en place pour réduire les coûts et optimiser le fonds de roulement? En fin de compte, il faut se concentrer sur la durabilité, les vecteurs de valeur et, in fine, la création de valeur à long terme. Les mentalités ont considérablement changé, notamment pour ce qui touche au travail des enfants. Vous pouvez délocaliser pour réduire les coûts de production mais les clients finiront tôt ou tard par jeter l’éponge, même en temps de crise.”

L’Europe face au reste du monde

Les réglementations européennes strictes ne constituent pas nécessairement un désavantage concurrentiel. “Les entreprises doivent prendre conscience de la valeur d’une stratégie durable et ne pas percevoir la réglementation comme une contrainte”, conseille Sophie Chirez. “Celles qui ne suivent pas cette voie perdront de la valeur à long terme, y compris au niveau international. Les audits vous donnent également un point de comparaison objectif. Les entreprises ne peuvent plus publier n’importe quoi. L’indicateur est le même pour tous.”

Tristan Dhondt le réaffirme: mesurer et comparer est absolument essentiel. “Vous pouvez démontrer noir sur blanc qu’une stratégie est durable, et cela va bien au-delà de la simple compliance.” Ces efforts portent leurs fruits au niveau international, conclut Sophie Chirez: “Les réglementations européennes ont des conséquences internationales. De nombreuses multinationales dont le siège est situé hors d’Europe se rallient aux minima européens pour l’ensemble de leur entreprise.” Selon Tristan Dhondt, de nombreuses entreprises devraient adopter une vision plus large. “Le développement durable est universel, ce débat dépasse les frontières européennes. Il s’agit d’ajouter de la valeur à l’échelle mondiale.”

Le suivi de l’ensemble de l’entreprise est ici crucial: évoluons-nous favorablement dans l’ensemble?

Tristan Dhondt, partner EY

Contact

Sophie Chirez

est responsable de l’équipe chargée du changement climatique et du développement durable chez EY Belgium. Son équipe comporte 16 collaborateurs qui se concentrent sur la stratégie ESG, le reporting, le conseil, l’audit, avec une expertise spécifique en matière d’économie circulaire, à savoir le “packaging”.


Tristan Dhondt

est Partner Strategy & Transactions (SaT) chez EY Belgium. Il dirige le département d’évaluation, de modélisation et d’économie, et est responsable du conseil en durabilité ESG au sein de SaT. “Dans une stratégie à long terme, la question de la durabilité ne peut désormais plus être ignorée.”