IA, durabilité, investissement: quelles sont les priorités des CEO?
Consolidation financière, durabilité, IA: comment les CEO jonglent-ils entre urgences et horizons de moyen et long termes? Partners chez EY, Marie Kaisin et Nicolas Valette décryptent les résultats de la dernière étude du consultant menée auprès de plus de 1.000 dirigeants.
Temps de lecture 6 minutes
Dans ce dossier, vous découvrirez:
- Les préoccupations principales qui animent aujourd’hui les CEO à travers le monde
- Comment ils tentent de conjuguer impératifs de durabilité et profits à court terme
- Comment les entreprises appréhendent le déploiement de l’intelligence artificielle
- L’impact de ces mégatendances sur le climat d’investissement et les attentes des CEO vis-à-vis des décideurs politiques
→ Écoutez également le podcast avec Marie Kaisin et Nicolas Valette pour un approfondissement du sujet.
Comment les priorités des CEO ont-elles évolué ces derniers mois?
Sanitaires, géopolitiques, climatiques, énergétiques: les crises auxquelles les entreprises ont eu à faire face se sont enchaînées à un rythme sans précédent. De quoi bousculer sévèrement toute organisation, petite ou grande.
Pourtant, si l’on en croit la dernière étude menée par EY auprès de 1.200 CEO du monde entier, les dirigeants ont appris à composer avec les incertitudes. Même s’ils scrutent avec une certaine inquiétude les tensions géopolitiques, l’optimisme est de retour quant aux perspectives de croissance et de profitabilité. “Les entreprises ont adopté des solutions dans des moments de crise, mais ces solutions sont pérennes et permettent à présent aux CEO d’appréhender l’avenir avec plus de confiance”, analyse Marie Kaisin, Partner chez EY.
Pour la plupart des CEO, les mois écoulés ont été consacrés à la préservation et à la reconstitution des marges, affectées notamment par l’inflation et les perturbations logistiques qui ont précédé. Un mouvement appelé à se poursuivre, et qui se traduit par de nouvelles ambitions d’investissement technologique pour l’année qui vient. Ainsi, les CEO attendent beaucoup de l’IA et des progrès en matière de gestion des données, afin d’améliorer leur croissance et leur productivité. “Le mouvement est particulièrement sensible aux États-Unis, où les investissements sont aussi dopés par l’Inflation Reduction Act”, relève par ailleurs Nicolas Valette, Partner chez EY.
Investir dans la technologie pour améliorer la croissance et la productivité
Améliorer la gestion des données et la cybersécurité
Réaliser des économies
IA: bien plus qu’un effet de mode
Leurs effets à court terme sont surestimés et ceux à long terme sous-estimés, dit-on souvent des sauts technologiques. Qu’en est-il de l’intelligence artificielle?
Les CEO ont déjà conscience des gains de productivité à court terme et de l’accélération des efforts de recherche et développement que l’IA peut autoriser. Au-delà de cette dimension, ils entrevoient, dans l’intégration progressive de l’IA, la possibilité d’élaborer de nouveaux business models applicables à leurs activités.
À terme, tous les secteurs seront impactés, prévient Nicolas Valette. “Rien qu’en Belgique, on voit déjà les premières applications dans le domaine de la maintenance industrielle, des essais cliniques et des robots conversationnels, notamment.”
Il pointe au passage l’intégration de l’IA dans les systèmes informatiques de gestion qui irriguent toutes les entreprises. D’après les études d’EY, l’IA pourrait ainsi générer dans les 10 prochaines années une augmentation du PIB mondial de 1.700 à 3.400 milliards de dollars.
Reste que les cybercriminels seront eux aussi prompts à se saisir des capacités décuplées qu’offrent ces nouveaux outils. La cybersécurité et la gouvernance des données sont donc appelées à figurer très haut dans l’agenda des CEO dans les années qui viennent. “C’est encore plus vrai au vu du contexte géopolitique international”, note Nicolas Vilette. “Par ailleurs, si plusieurs entreprises ont pu pécher par naïveté dans le passé, des cas retentissants de vol de données et de paralysie de systèmes ont incité les entreprises à adopter une approche plus vigoureuse en la matière. Elles ont clairement gagné en maturité.”
Durabilité: un cap plutôt qu’une urgence
Lorsqu’on les interroge sur leurs priorités à trois ans, la plupart des dirigeants citent l’impérieuse décarbonation des business models et processus de production.
L’urgence n’étant plus à démontrer, on pourrait se désoler de ne pas voir ce point figurer lui aussi tout en haut de la liste “à 12 mois”. Marie Kaisin recontextualise en rappelant qu’il s’agit là de résultats globaux: en Europe, la prise de conscience est sans doute plus avancée. “Les CEO constatent comme les autres les effets du réchauffement climatique. Et ils sont de plus en plus nombreux à avoir compris que la nécessaire transformation industrielle est un vecteur d’opportunités. Le défi est véritablement d’inscrire concrètement cette ambition sur le long terme sans plomber les résultats.” Le défi n’est pas mince, puisque 20% des CEO européens interrogés concèdent que la durabilité a reculé dans l’ordre de leurs priorités ces 12 derniers mois, du fait des circonstances financières et économiques.
Impossible de ne pas évoquer à ce stade la directive européenne sur le reporting extra-financier des entreprises (CSRD), qui va progressivement – par la voie régulatoire ou commerciale – amener toutes les entreprises à faire état de leurs émissions et plans de réduction du CO2. “La question de la CSRD est extrêmement vivante dans les entreprises, de même que celle du coût futur du CO2”, confirme Nicolas Valette. “Les CEO et leurs équipes travaillent sur la meilleure façon de mesurer, de définir des trajectoires et d’orienter leur stratégie d’investissement et de communication à cet égard.”
La décarbonisation et la neutralité carbone des activités de l’entreprise
Protéger la croissance des revenus et créer de nouvelles sources de revenus
Investir dans la technologie pour améliorer la croissance et la productivité
Climat d’investissement: des ambitions contrariées
Comment ces mégatendances affectent-elles aujourd’hui le climat d’investissement, alors que les acteurs du private equity, refroidis par des taux d’intérêt élevés, se sont faits moins actifs en 2023? “Les entreprises se livrent à des opérations d’opportunité, par exemple pour acquérir une technologie, une nouvelle capacité de production ou compléter leur portefeuille de produits”, déclare Marie Kaisin.
“Dans la pharma, la chimie et la tech notamment, les disruptions ont amené plusieurs acteurs à se défaire de certaines activités pour mieux se recentrer sur leur stratégie et générer de la valeur”, abonde Nicolas Valette. “D’où les opérations de spin-off qu’on a pu observer, notamment en Belgique.”
Les deux experts citent également l’accès au financement aisé – notamment par le biais obligataire – qui s’offre actuellement aux porteurs de projets d’acquisition. Néanmoins, l’avenir immédiat demeure source d’incertitudes, en cette année électorale en Belgique, en Europe et aux États-Unis notamment. Que restera-t-il, par exemple, du Green Deal européen?
La trajectoire de durabilité des entreprises est plus qu’amorcée, souligne à cet égard Marie Kaisin. Elle rappelle la déclaration d’Anvers, par laquelle les grandes entreprises industrielles se sont engagées à opérer une transition industrielle durable, mais demandent d’urgence la mise en œuvre d’une politique industrielle permettant à l’industrie européenne de redevenir compétitive et attractive. “Les enjeux sont gigantesques, et les montants à mobiliser pour réussir la transition, colossaux. Il faut absolument trouver un alignement entre les enjeux industriels, écologiques, sociétaux et les ambitions politiques qu’on se fixe. Les lignes de communication entre les CEO et les politiques doivent être plus ouvertes que jamais.”
‘Il faut absolument trouver un alignement entre les enjeux industriels, écologiques, sociétaux et les ambitions politiques qu’on se fixe.’
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